Une image de When Water comes together with other Water » de Claire Laude m’a longtemps habitée et accompagnée. La photographe l'a supprimée de la série depuis mais l’empreinte de l'image persiste. L’empreinte est devenue une image fantôme chère à Hervé Guibert. L’image d’une fantôme. D’une vaine capture de l’instant. L’image fantôme a inspiré ce texte.
La femme sur la photo se plie sur elle-même. Origami d’épaules, de cuisses, de hanches. Le tabouret rouge porte le poids de la femme sur la photo qui porte le poids du corps qui porte le poids du monde. Le poids du monde qui bascule sur la femme sur la photo. Qui rompt avec le monde. Enfermée entre des murs bleu chlore. Enfermée dans une boîte à piscine. Enfermée face à la lumière pâle comme la peau de la femme sur la photo. Pâle comme mon visage derrière l’écran la première fois que j’aperçois la femme sur la photo.
Transfert d’image. La femme sur la photo prend ma place. Devient mon profil. Ma couverture. Mon double virtuel. Je partage la femme sur la photo quand je ne donne plus d’autres nouvelles qu’un signal sur un réseau social. Quand je me confine dans ma tête. Quand je ne sais plus dire. Quand je ne sais plus faire. Quand je ne sais plus être. Mon corps dans le prolongement de la chute de la femme sur la photo. La chute du tabouret rouge. A mon tour, je pourrais m’écrouler sur un carrelage bleu chlore. Couler au fond de la piscine.
La femme sur la photo parle pour moi. Me double. M’artifice. Me ruisselle. Me dépouille. Me sédimente. Je lui invente des histoires. Je la nourris des miennes. La femme sur la photo aime l’intérieur des livres qui lui content l’extérieur des livres, les incendies des poétesses, l’album providence de Shannon Wright et Nick Cave seul au piano, les verres de vin nature, dormir sur le côté gauche, accomplir un seul geste à la fois, recevoir des lettres par la poste, les sous-pull acryliques, écrire des notes sur son téléphone, ouvrir sa fenêtre à cinq heures du matin, même l’hiver, la femme sur la photo a des bleus sur les genoux et des points de côté, elle ne se coupe pas les cheveux régulièrement.
La femme sur la photo s’est appuyée contre le mur quand une amoureuse l’a quittée. Quand un amoureux l’a trahie. Quand les masques sont tombés. Quand la musique s’est effondrée. Quand le souffle s’est coupé. Quand la peur lui a crevé les tympans. Quand les murs l’ont encerclée. Quand sa mémoire réveillée lui a déchiré le ventre. Quand le bleu chlore s’est mué en noir labo. Quand la lumière inactinique dans les yeux. Quand la chimie dans la bouche. Quand l’acide dans les poumons. Quand le naufrage des images. Bain d’arrêt. La femme sur la photo se nomme Seule. Elle porte mon nom.